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Il se tenait à dix mètres environ, le dos appuyé contre une tombe défraîchie. Son coude reposait contre le manche d’une pelle, et la tenue de travail qu’il portait n’avait jamais dû voir la couleur du savon.

Il a levé un bras décharné et m’a fait un geste d’invite, sa main gigantesque battant l’air comme l’aile d’un oiseau de proie.

– N’aie pas peur, fiston, je veux juste te parler.

Je me suis approché en traînant des pieds, gardant bien en vue – on ne sait jamais – la grille de sortie qui béait derrière moi. Ce type avait vraiment l’air louche : le cuir de son visage était craquelé comme un vieux parchemin, la sueur et la poussière plaquaient sur son front les quelques cheveux qui lui restaient, et il mâchouillait entre des chicots cariés une bouillie jaunâtre qui, dans un lointain passé, avait dû être une cigarette.

Quand j’ai été suffisamment près, il m’a regardé intensément, et j’ai vu dans ses pupilles dilatées – des pupilles qui n’appartenaient à aucune couleur identifiable – quelque chose qui ressemblait à du soulagement.

Bizarre, vraiment bizarre.

– Tu veux voir des morts, fiston ? a-t-il lancé à brûle-pourpoint.

Le gars me demandait si je voulais voir des morts ; est-ce que je voulais voir des morts. Que voulez-vous répondre à ça ? Je n’ai rien trouvé de mieux que de bredouiller :

– Pardon ?

Il a tiré un briquet de sa poche et a tenté en vain de redonner vie à sa bouillie de mégot.

– Je te demande si tu veux voir des morts. Des morts qui marchent et qui parlent.

Ce type devait être complètement marteau, du genre du doux dingue qui s’obstine tous les matins à vouloir faire la circulation déguisé en shérif, dans le carrefour juste à côté de chez moi. Totalement siphonné, halluciné, déjanté. C’était la seule explication possible. J’ai jeté un nouveau coup d’œil à la grille de sortie et j’ai songé à prendre les jambes à mon cou avant qu’il ne soit trop tard.

– Tu as l’air de t’amuser comme un petit fou, en compagnie de ta tante et de ta mère, a-t-il poursuivi.

Ce type connaissait donc ma famille ? Cela m’a rassuré un peu, et j’ai décidé finalement de temporiser un peu avant de lui fausser compagnie. J’ai planté mes deux pouces dans mes poches, histoire de me donner une contenance à la Clint Eastwood, et j’ai demandé de ma voix la plus assurée :

– Qu’est-ce que vous voulez ?

Le type a jeté un éclat de rire qui ressemblait à une quinte de toux.

– La question serait plutôt de savoir ce que toi tu veux…

Je ne comprenais rien à ce qu’il me racontait, mais il n’a semblé y attacher aucune importance. Il m’a donné son nom et m’a dit qu’il était le fossoyeur du cimetière.

– Je sais qui tu es, a-t-il continué. Tu t’appelles Aurélien et tu aimes tout ce qui touche à l’étrange, au surnaturel. Tu ne manques jamais de fêter le 31 octobre. C’est très bien.

J’ai tiqué – d’où le gars tenait-il ces infos ? –, avant de me rappeler que la tante Maude était bavarde comme une pie, et qu’elle devait tenir tout le village au courant de la vie privée – si courte encore soit-elle – de son unique petit-neveu.

Puis, d’une haleine douteuse, il m’a lancé cette invitation, la plus incroyable que j’avais jamais reçue :

– Reviens me voir cette nuit à onze heures précises, à l’entrée du cimetière, et je te promets un Halloween que tu n’oublieras jamais.

Je ne savais comment réagir, mais ma mère a tranché pour moi. Elle était plantée devant la grille et m’a aboyé :

– Qu’est-ce que tu fabriques encore ? Tu viens, oui ou non ?

J’ai donc extirpé mes pouces de pistolero sans peur de leur poche, j’ai marmonné un vague au r’voir monsieur et j’ai battu en retraite jusqu’à la voiture, partagé entre la stupeur et le fou rire nerveux. La portière claquée, j’ai jeté un œil : le type était toujours là, dans l’encadrement de la grille du cimetière, droit comme une statue, et continuait de me fixer avec la gravité d’un maréchal d’empire.

Childéric Zac, il avait dit qu’il s’appelait. Un nom improbable, qui sonnait comme une poignée de terre jetée sur le bois d’un cercueil. J’ai trouvé qu’il collait au fossoyeur comme un gant, et je ne sais pas pourquoi, j’ai frissonné.

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Tous droits réservés
(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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