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J’ai obéi, sans doute parce que je n’avais pas d’autre choix, si ce n’était celui peu glorieux de m’enfuir à toutes jambes, et au bout de quelques instants, la main froide est revenue se percher sur mon omoplate comme un oiseau lourd et transi. Une odeur de terre et de pourriture mélangées m’a envahi les narines. J’ai senti ma peau se couvrir de chair de poule et j’ai étouffé un gémissement pitoyable, mais je suis resté sans broncher.

L’être derrière moi ne disait rien, ne faisait rien, et pourtant, très vite, j’ai senti un flot d’émotions étrangères (ses émotions à lui) pénétrer mon âme et secouer mon corps. Il y avait la peur et j’ai cessé de respirer. Il y avait le chagrin et ma propre gorge s’est serrée. Il y avait la solitude – une effroyable solitude – et j’ai failli hurler. Il y avait les regrets, il y avait la colère, il y avait…

– Retourne-toi et fais-lui face, fiston.

L’appel m’a sorti de mon état de transe, et j’ai regardé celui qui venait de me parler : c’était mon fossoyeur bien sûr. Il me contemplait d’un air impassible, mais j’ai cru discerner une lueur d’amusement, ou peut-être qu’il s’agissait d’autre chose.

– Retourne-toi, a répété le fossoyeur.

Dans ma tête, c’était le grand chambardement, mais si je ne savais plus qu’une chose, c’était bien celle-ci : rien ni personne au monde, à cet instant précis, ne m’aurait forcé à me retourner pour faire face à ce… cette chose.

– Retourne-toi.

J’ai serré les dents et j’ai senti mes propres ongles pénétrer dans la chair de mes paumes. Non, non et trois fois non. Je tenais à garder ma raison. Immobile j’étais, immobile je resterais.

Sur mon épaule, la pression de la main s’est accentuée et une bouffée de frustration s’est insinuée en moi, me submergeant littéralement. J’ai compris que derrière moi la créature perdait patience.

– Retourne-toi, fiston.

NON ! J’ai dit NON !

– RETOURNE–TOI.

L’ordre avait une nouvelle fois claqué, mais la voix n’était plus la même : c’était un timbre caverneux, irréel, avec un ton particulier qui signifiait très clairement : ne joue pas avec moi. J’ai réalisé que ce n’était pas le fossoyeur que je venais d’entendre, et mes derniers lambeaux de dignité se sont envolés d'un seul coup.

J’ai poussé un cri strident et je me suis dégagé de l’emprise de la chose pour courir me réfugier – kaï ! kaï ! – derrière la constitution rassurante de mon guide nocturne.

Je suis resté un bon moment dans son dos, pantelant et tremblant. Quand j’ai osé risquer un œil, devinez quoi : la créature avait disparu, emportant avec elle son souffle fétide et sa terrible main aux doigts de glace.

– Tu aurais dû te retourner, a commenté le fossoyeur, tentant à nouveau de rallumer son mégot.

(Suite sur PAGE  14)

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Tous droits réservés
(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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