La fête de cette année s’annonçait mémorable : avec l’aide du foyer du collège, les copains avaient loué une aile entière dans l’institut agricole du coin. Perdu au milieu de la campagne, l’édifice avait l’allure d’un manoir hanté, surtout avec la présence, tout à côté, d’une église décrépite et de son cimetière lugubre à souhait. Un parcours nocturne parmi les tombes était prévu en guise de bienvenue. J’avais le beau rôle : je devais justement être le guide qui, cagoule sur la tête et torche à la main, se chargeait – Hé ! Hé ! – de faire trembler les invités.

À présent, tout cela me passait sous le nez. Ma seule perspective, c’était un autre genre de visite de cimetières le lendemain, une visite beaucoup moins excitante, faite d’arrosage de fleurs desséchées et de longues périodes de silence devant des stèles délabrées aux inscriptions illisibles. Ma mère avait une gigantesque famille : de village en village, le supplice allait probablement s’éterniser…

Quelle heure était-il ? Neuf heures moins le quart. La fête devait maintenant battre son plein, tandis que moi, comme une âme damnée, je devais me résoudre à subir pieds et poings liés, dans cette salle à manger qui sentait le chou, le flot intarissable des élucubrations de Fernand…

Seule consolation, c’est que ma chère mère elle-même semblait trouver l’épisode moyennement divertissant. Elle contemplait l’hurluberlu d’un drôle d’air et bayait à s’en décrocher le dentier. Je l’ai regardée du coin de l’œil avec une tête qui voulait dire　: Bien fait. Ça t’apprendra.

Comme si elle venait de lire dans mes pensées, ma mère s’est tournée vers moi et m’a flanqué un coup de coude. Puis elle m’a sifflé cette sommation qui s’accordait on ne pouvait mieux à la situation. Elle m’a dit　:

– Arrête de faire cette tête d’enterrement.

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